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la fit sourire. Elle laissa tomber son ouvrage et reprit :

« — Tenez : je sais qu’il est à Paris. Georges l’a rencontré ce matin ; il l’a dit incidemment, et j’ai feint de ne pas l’entendre, car il ne me plaît pas de le voir dénoncer son frère. Mais enfin je le sais. Olivier se cache de moi. Quand je le reverrai, il se croira forcé de me mentir, et je ferai semblant de le croire, comme je fais semblant de croire son père, chaque fois qu’il se cache de moi.

« — C’est par crainte de vous peiner.

« — Il me peine ainsi bien davantage. Je ne suis pas intolérante. Il y a nombre de petits manquements que je tolère, sur lesquels je ferme les yeux.

« — De qui parlez-vous maintenant ?

« — Oh ! du père aussi bien que des fils.

« — En feignant de ne pas les voir, vous leur mentez aussi.

« — Mais comment voulez-vous que je fasse ? C’est beaucoup, de ne pas me plaindre ; je ne puis pourtant pas approuver ! Non, voyez-vous, je me dis que, tôt ou tard, on perd prise, et que le plus tendre amour n’y peut rien. Que dis-je ? Il gêne ; il importune. J’en arrive à cacher même cet amour.

« — À présent vous parlez de vos fils.

« — Pourquoi dites-vous cela ? Prétendez-vous que je ne sache plus aimer Oscar ? Parfois je me le dis ; mais je me dis aussi que c’est par crainte de trop souffrir que je ne l’aime pas davantage. Et… oui, vous devez avoir raison : s’il s’agit d’Olivier, je préfère souffrir.