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insuffisances et les défaillances d’Oscar, à les cacher aux yeux de tous ; et surtout aux yeux des enfants. Elle s’ingénie à permettre à ceux-ci d’estimer leur père ; et, vraiment, elle a fort à faire ; mais elle s’y prend de telle sorte que moi-même j’étais blousé. Elle parle de son mari sans mépris, mais avec une sorte d’indulgence qui en dit long. Elle déplore qu’il n’ait pas plus d’autorité sur les enfants ; et comme j’exprimais mes regrets de voir Olivier avec Passavant, j’ai compris que, s’il n’eût tenu qu’à elle, le voyage en Corse n’aurait pas eu lieu.

« — Je n’approuvais pas ce départ, m’a-t-elle dit, et ce Monsieur Passavant, à dire vrai, ne me plaît guère. Mais, que voulez-vous ? Ce que je vois que je ne puis pas empêcher, je préfère l’accorder de bonne grâce. Oscar, lui, cède toujours ; il me cède, à moi aussi. Mais lorsque je crois devoir m’opposer à quelque projet des enfants, leur résister, leur tenir tête, je ne trouve près de lui nul appui. Vincent lui-même s’en est mêlé. Dès lors, quelle résistance pouvais-je opposer à Olivier, sans risquer de m’aliéner sa confiance ? C’est à elle surtout que je tiens.

« Elle reprisait de vieilles chaussettes ; de celles, me disais-je, dont Olivier ne se contentait plus. Elle s’arrêta pour enfiler une aiguille, puis reprit sur un ton plus bas, comme plus confiant et plus triste :

« — Sa confiance… Si du moins j’étais sûre encore de l’avoir ! Mais non ; je l’ai perdue…

« La protestation que, sans conviction, je risquai