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les enfants. — Bernard ? — Ah ! c’est vrai ; son ami… tu sais bien, celui avec qui il prenait des répétitions de mathématiques, est venu l’emmener dîner.

Profitendieu se sentait mieux. Il avait d’abord eu peur d’être trop souffrant pour pouvoir parler. Pourtant il importait de donner une explication de la disparition de Bernard. Il savait maintenant ce qu’il devait dire, si douloureux que cela fût. Il se sentait ferme et résolu. Sa seule crainte, c’était que sa femme ne l’interrompît par des pleurs, par un cri ; qu’elle ne se trouvât mal…

Une heure plus tard, elle entre avec les trois enfants ; s’approche. Il la fait asseoir près de lui contre son fauteuil.

— Tâche de te tenir, lui dit-il à voix basse, mais sur un ton impérieux ; et ne dis pas un mot, tu m’entends. Nous causerons ensuite tous les deux.

Et tandis qu’il parle, il garde une de ses mains à elle dans les siennes.

— Allons ; asseyez-vous, mes enfants. Cela me gêne de vous sentir là, debout devant moi comme pour un examen. J’ai à vous dire quelque chose de très triste. Bernard nous a quittés et nous ne le reverrons plus… d’ici quelque temps. Il faut que je vous apprenne aujourd’hui ce que je vous ai caché d’abord, désireux que j’étais de vous voir aimer Bernard comme un frère ; car votre mère et moi nous l’aimions comme notre enfant. Mais il n’était pas notre enfant… et un oncle à lui, un frère