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salle du premier, à la Taverne du Panthéon. Les principaux rédacteurs des Argonautes y seront, et plusieurs de ceux qui doivent collaborer à l’Avant-Garde. Notre premier numéro est presque prêt ; mais, dis… pourquoi ne m’as-tu rien envoyé ?

— Parce que je n’avais rien de prêt, répond Bernard un peu sèchement.

La voix d’Olivier devient presque implorante :

— J’ai inscrit ton nom à côté du mien, au sommaire… On attendrait un peu, s’il fallait… N’importe quoi ; mais quelque chose… Tu nous avais presque promis…

Il en coûte à Bernard de peiner Olivier ; mais il se raidit :

— Écoute, mon vieux, il vaut mieux que je te le dise tout de suite : j’ai peur de ne pas bien m’entendre avec Passavant.

— Mais puisque c’est moi qui dirige ! Il me laisse absolument libre.

— Et puis, c’est justement de t’envoyer n’importe quoi, qui me déplaît. Je ne veux pas écrire « n’importe quoi. »

— Je disais « n’importe quoi », parce que je savais précisément que n’importe quoi de toi, ce serait toujours bien… que précisément ce ne serait jamais « n’importe quoi ».

Il ne sait que dire. Il bafouille. S’il n’y sent plus son ami près de lui, cette revue cesse de l’intéresser. C’était si beau, ce rêve de débuter ensemble.

— Et puis, mon vieux, si je commence à très bien savoir ce que je ne veux pas faire, je ne sais pas