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chacune à placer. Il faut les vendre vingt francs chacune ; mais pas à n’importe qui, tu comprends. Le mieux, ce serait de former une association, dont on ne pourra pas faire partie sans avoir apporté des gages. Il faut que les gosses se compromettent et qu’ils livrent de quoi tenir les parents. Avant de lâcher les pièces, tu tâcheras de leur faire comprendre ça ; oh ! sans les effrayer. Il ne faut jamais effrayer les enfants. Tu m’as dit que le père Molinier était magistrat ? C’est bon. Et le père Adamanti ?

— Sénateur.

— C’est encore mieux. Tu es déjà assez mûr pour comprendre qu’il n’y a pas de famille sans quelque secret ; que les intéressés tremblent de laisser connaître. Il faut mettre les gosses en chasse ; ça les occupera. D’ordinaire on s’embête tant, dans sa famille ! Et puis, ça peut leur apprendre à observer, à chercher. C’est bien simple : qui n’apportera rien, n’aura rien. Quand ils comprendront qu’on les a, certains parents paieront cher pour le silence. Parbleu, nous n’avons pas l’intention de les faire chanter ; on est des honnêtes gens. On prétend simplement les tenir. Leur silence contre le nôtre. Qu’ils se taisent, et qu’ils fassent taire ; alors nous nous tairons, nous aussi. Buvons à leur santé.

Strouvilhou remplit deux verres. Ils trinquèrent.

— Il est bon, reprit-il, il est même indispensable de créer des rapports de réciprocité entre les citoyens ; c’est ainsi que se forment les sociétés solides. On se tient, quoi ! Nous tenons les petits,