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quoi pleurer. C’est sa faute aussi : ce revoir lui paraîtrait moins triste, s’il s’en était promis moins de joie. Lorsque, deux mois auparavant, il s’était empressé à la rencontre d’Édouard, il en avait été de même. Il en serait toujours ainsi, se disait-il. Il eut voulu plaquer Bernard, s’en aller n’importe où, oublier Passavant, Édouard… Une rencontre inopinée, soudain, rompit le triste cours de sa pensée.

À quelques pas devant eux, sur le boulevard Saint-Michel, qu’ils remontaient, Olivier venait d’apercevoir Georges, son jeune frère. Il saisit Bernard par le bras, et tournant les talons aussitôt, l’entraîna précipitamment.

— Crois-tu qu’il nous ait vus ?… Ma famille ne sait pas que je suis de retour.

Le petit Georges n’était point seul. Léon Ghéridanisol et Philippe Adamanti l’accompagnaient. La conversation de ces trois enfants était très animée ; mais l’intérêt que Georges y prenait ne l’empêchait pas d’ « avoir l’œil » comme il disait. Pour les écouter, quittons un instant Olivier et Bernard ; aussi bien, entrés dans un restaurant, nos deux amis sont-ils, pour un temps, plus occupés à manger qu’à parler, au grand soulagement d’Olivier.

— Eh bien, alors, vas-y, toi, dit Phiphi à Georges.

— Oh ! il a la frousse ! il a la frousse ! riposte celui-ci, en mettant dans sa voix tout ce qu’il peut