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besoin de l’affection de Bernard, que celui-ci n’avait besoin de la sienne. La déclaration de Bernard l’humiliait, le mortifiait. Il s’en voulait d’avoir parlé trop vite. À présent, il était trop tard pour se reprendre, emboîter le pas, comme il eût fait certainement s’il avait laissé Bernard parler le premier. Mais comment eût-il pu prévoir que Bernard, qu’il avait laissé si frondeur, allait se poser en défenseur de sentiments et d’idées que Passavant lui apprenait à ne considérer point sans sourire ? Sourire, il n’en avait vraiment plus envie ; il avait honte. Et ne pouvant ni se rétracter, ni s’élever contre Bernard dont l’authentique émotion lui imposait, il ne cherchait plus qu’à se protéger, qu’à se soustraire :

— Enfin, si c’est cela que tu as mis dans ta compote, ça n’est pas contre moi que tu le disais… J’aime mieux ça.

Il s’exprimait comme quelqu’un de vexé, et pas du tout sur le ton qu’il eût voulu.

— Mais c’est à toi que je le dis maintenant, reprit Bernard.

Cette phrase cingla Olivier droit au cœur. Bernard ne l’avait sans doute pas dite dans une intention hostile ; mais comment la prendre autrement ? Olivier se tut. Un gouffre, entre Bernard et lui se creusait. Il chercha quelles questions, d’un bord à l’autre de ce gouffre, il allait pouvoir jeter, qui rétabliraient le contact. Il cherchait sans espoir. « Ne comprend-il donc pas ma détresse ? » se disait-il ; et sa détresse s’aggravait. Il n’eut peut-être pas à refouler de larmes, mais il se disait qu’il y avait de