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n’est pas non plus La Fontaine. S’il n’avait eu pour lui que cette légèreté, dont du reste, à la fin de sa vie, il se repend et s’excuse, il n’aurait jamais été l’artiste que nous admirons. C’est précisément ce que j’ai dit dans ma dissertation de ce matin, et fait valoir à grand renfort de citations, car tu sais que j’ai une mémoire assez bonne. Mais, quittant bientôt La Fontaine, et retenant l’autorisation que certains esprits superficiels pourraient penser trouver dans ses vers, je me suis payé une tirade contre l’esprit d’insouciance, de blague, d’ironie ; ce qu’on appelle enfin « l’esprit français », qui nous vaut parfois à l’étranger une réputation si déplorable. J’ai dit qu’il fallait y voir, non pas même le sourire, mais la grimace de la France ; que le véritable esprit de la France, était un esprit d’examen, de logique, d’amour et de pénétration patiente ; et que, si cet esprit-là n’avait pas animé La Fontaine, il aurait peut-être bien écrit ses contes, mais jamais ses fables, ni cette admirable épitre (j’ai montré que je la connaissais) dont sont extraits les quelques vers qu’on nous donnait à commenter. Oui, mon vieux, une charge à fond, qui va peut-être me faire recaler. Mais je m’en fous ; j’avais besoin de dire ça.

Olivier ne tenait pas particulièrement à ce qu’il venait d’exprimer tout à l’heure. Il avait cédé au besoin de briller, et de citer, comme négligemment, une phrase qu’il estimait de nature à épater son ami. Si maintenant celui-ci le prenait sur ce ton, il ne lui restait plus qu’à battre en retraite. Sa grande faiblesse venait de ceci qu’il avait beaucoup plus