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parussent absurdes. Et même elles n’étaient peut-être pas, après tout, si absurdes que cela. Sur son cahier des opinions contradictoires, il les pourrait coucher en regard des siennes propres. Eussent-elles été authentiquement les idées d’Olivier, il ne se serait indigné ni contre lui, ni contre elles ; mais il sentait quelqu’un de caché derrière ; c’est contre Passavant qu’il s’indignait.

— Avec de pareilles idées, on empoisonne la France, s’écria-t-il d’une voix sourde, mais véhémente. Il le prenait de très haut, désireux de survoler Passavant. Et ce qu’il dit le surprit lui-même, comme si sa phrase avait précédé sa pensée ; et pourtant c’était cette pensée même qu’il avait développé ce matin dans son devoir ; mais, par une sorte de pudeur, il lui répugnait, dans son langage, et particulièrement en causant avec Olivier, de faire montre de ce qu’il appelait « les grands sentiments ». Aussitôt exprimés, ceux-ci lui paraissaient moins sincères. Olivier n’avait donc jamais entendu son ami parler des intérêts de « la France » ; ce fut son tour d’être surpris. Il ouvrait de grands yeux et ne songeait même plus à sourire. Il ne reconnaissait plus son Bernard. Il répéta stupidement :

— La France ?… Puis, dégageant sa responsabilité, car Bernard décidément ne plaisantait pas :

— Mais, mon vieux, ce n’est pas moi qui pense ainsi ; c’est La Fontaine.

Bernard devint presque agressif :

— Parbleu ! s’écria-t-il, je sais parbleu bien que ce n’est pas toi qui penses ainsi. Mais, mon vieux, ce