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que la surface, que la fleur. Puis j’aurais posé en regard un portrait du savant, du chercheur, de celui qui creuse, et montré enfin que, pendant que le savant cherche, l’artiste trouve ; que celui qui creuse s’enfonce, et que qui s’enfonce s’aveugle ; que la vérité, c’est l’apparence, que le mystère c’est la forme, et que ce que l’homme a de plus profond, c’est sa peau.

Cette dernière phrase, Olivier la tenait de Passavant, qui lui-même l’avait cueillie sur les lèvres de Paul-Ambroise, un jour que celui-ci discourait dans un salon. Tout ce qui n’était pas imprimé, était pour Passavant de bonne prise ; ce qu’il appelait « les idées dans l’air », c’est-à-dire : celles d’autrui.

Un je ne sais quoi dans le ton d’Olivier, avertit Bernard que cette phrase n’était pas de lui. La voix d’Olivier s’y trouvait gênée. Bernard fut sur le point de demander : « C’est de qui ? » ; mais outre qu’il ne voulait pas désobliger son ami, il redoutait d’avoir à entendre le nom de Passavant, que l’autre jusqu’à présent n’avait eu garde de prononcer. Bernard se contenta de regarder son ami avec une curieuse insistance ; et Olivier, pour la seconde fois, rougit.

La surprise qu’avait Bernard d’entendre le sentimental Olivier exprimer des idées parfaitement différentes de celles qu’il lui connaissait, fit place presque aussitôt à une indignation violente ; quelque chose de subit et de surprenant, d’irrésistible comme un cyclone. Et ce n’était pas précisément contre ces idées qu’il s’indignait, encore qu’elles lui