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— Ça te fait froid dans la colonne, hein ? disait Georges en ricanant. Qu’il ait été terrifié lui-même, c’est ce qu’il jugeait parfaitement inutile d’avouer, surtout devant Ghéridanisol.

On pourrait croire, à ce dialogue, ces enfants encore plus dépravés qu’ils ne sont. C’est surtout pour se donner des airs qu’ils parlent ainsi, j’en suis sûr. Il entre de la forfanterie dans leur cas. N’importe : Ghéridanisol les écoute ; les écoute et les fait parler. Ces propos divertiront beaucoup son cousin Strouvilhou, quand il les lui rapportera ce soir.

Ce même soir, Bernard retrouvait Édouard.

— Ça s’est bien passé, la rentrée ?

— Pas mal. Et, comme ensuite il se taisait :

— Monsieur Bernard, si vous n’êtes pas d’humeur à parler de vous-même, ne comptez pas sur moi pour vous presser. J’ai horreur des interrogatoires. Mais permettez-moi de vous rappeler que vous m’avez offert vos services et que je suis en droit d’espérer de vous quelques récits…

— Que voulez-vous savoir ? reprit Bernard d’assez mauvaise grâce. Que le père Azaïs a prononcé un discours solennel, où il proposait aux enfants de « s’élancer d’un commun élan, et avec une juvénile ardeur… » ? J’ai retenu ces mots, car ils sont revenus trois fois. Armand prétend que le vieux les place dans chacun de ses laïus. Nous étions assis lui et moi, sur le dernier banc, tout au fond de la classe, contemplant la rentrée des gosses, comme Noé