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s’asseoir sur le même banc que Ghéridanisol, le cinquième, pour ne pas être trop en vue du pion. Molinier avait Adamanti à sa gauche ; à sa droite, Ghéridanisol, dit Ghéri ; à l’extrémité du banc s’assit Boris. Derrière celui-ci se trouvait Passavant.

Gontran de Passavant a mené triste vie depuis la mort de son père ; et celle qu’il menait auparavant n’était déjà pas bien gaie. Il a compris depuis longtemps qu’il n’avait à attendre de son frère nulle sympathie, nul appui. Il a été passer les vacances en Bretagne, emmené par sa vieille bonne, la fidèle Séraphine, dans la famille de celle-ci. Toutes ses qualités se sont repliées ; il travaille. Un secret désir l’éperonne, de prouver à son frère qu’il vaut mieux que lui. C’est de lui-même et par libre choix qu’il est entré en pension ; par désir aussi de ne pas loger chez son frère, dans cet hôtel de la rue de Babylone qui ne lui rappelle que de tristes souvenirs. Séraphine, qui ne veut pas l’abandonner, a pris un logement à Paris ; la petite rente que lui servent les deux enfants de feu le comte, par clause expresse du testament, le lui permet. Gontran y a sa chambre, qu’il occupe les jours de sortie ; il l’a ornée selon son goût. Il prend deux repas par semaine avec Séraphine ; celle-ci le soigne et veille à ce qu’il ne manque de rien. Auprès d’elle, Gontran bavarde volontiers, encore qu’il ne puisse parler avec elle de presque rien de ce qui lui tient à cœur. À la pension, il ne se laisse pas entamer par les autres ; il écoute plaisanter ses camarades d’une oreille distraite et se