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mettre au pas, par grand besoin de sympathie, mais sa nature trop délicate y répugnait ; les mots s’arrêtaient sur ses lèvres ; il s’en voulait de sa gêne, s’efforçait de ne la laisser point paraître, s’efforçait même de rire afin de prévenir les moqueries ; mais il avait beau faire : parmi les autres, il avait l’air d’une fille, le sentait et s’en désolait.

Des groupements, presque aussitôt, s’étaient formés. Un certain Léon Ghéridanisol faisait centre et déjà s’imposait. Un peu plus âgé que les autres, et du reste plus avancé dans ses études, brun de peau, aux cheveux noirs, aux yeux noirs, il n’était ni très grand ni particulièrement fort, mais il avait ce qu’on appelle « du culot ». Un sacré culot vraiment. Même le petit Georges Molinier convenait que Ghéridanisol lui en avait « bouché un coin » ; « et, tu sais, pour m’en boucher un, il faut quelque chose ! » Ne l’avait-il pas vu, de ses yeux vu, ce matin, s’approcher d’une jeune femme ; celle-ci tenait un enfant dans ses bras :

— C’est à vous, cet enfant, Madame ? (ceci dit avec un grand salut.) Il est rien laid, vot’ gosse. Mais rassurez-vous : il ne vivra pas.

Georges s’en esclaffait encore.

— Non ! sans blague ? disait Philippe Adamanti, son ami, à qui Georges rapportait l’histoire.

Ce propos insolent faisait leur joie ; on n’imaginait rien de plus spirituel. Bateau fort usagé déjà, Léon le tenait de son cousin Strouvilhou, mais Georges n’avait pas à le savoir.

À la pension, Molinier et Adamanti obtinrent de