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ma tempe. J’avais le doigt sur la gâchette. Je pressais un peu ; mais pas assez fort. Je me disais : « Dans un instant, je vais presser plus fort, et le coup partira ». Je sentais le froid du métal, et me disais : « Dans un instant, je ne sentirai plus rien. Mais d’abord je vais entendre un bruit terrible… » Songez donc si près de l’oreille !… C’est cela surtout qui m’a retenu : la peur du bruit… C’est absurde ; car, du moment que l’on meurt… Oui ; mais la mort, je l’espère comme un sommeil ; et une détonation, cela n’endort pas : cela réveille… Oui ; c’est certainement cela dont j’avais peur. J’avais peur, au lieu de m’endormir, de me réveiller brusquement.

« Il sembla se ressaisir, ou plutôt se rassembler, et durant quelques instants, de nouveau ses lèvres remuèrent à vide.

« — Tout cela, reprit-il, je ne me le suis dit qu’ensuite. La vérité, si je ne me suis pas tué, c’est que je n’étais pas libre. Je dis à présent : j’ai eu peur ; mais non : ce n’était pas cela. Quelque chose de complètement étranger à ma volonté, de plus fort que ma volonté, me retenait… Comme si Dieu ne voulait pas me laisser partir. Imaginez une marionnette qui voudrait quitter la scène avant la fin de la pièce… Halte-là ! On a encore besoin de vous pour le finale. Ah ! vous croyiez que vous pouviez partir quand vous vouliez !… J’ai compris que ce que nous appelons notre volonté, ce sont les fils qui font marcher la marionnette, et que Dieu tire. Vous ne saisissez pas ? Je vais vous expliquer. Tenez : je me dis à présent : « Je vais lever mon bras droit » ; et