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« Je m’affectai péniblement, non tant de ces paroles absurdes que de leur ton ; un ton déclamatoire, indiciblement affecté, auquel mon vieux maître, si naturel avec moi d’ordinaire et si confiant, ne m’avait pas habitué.

« — Cette fille n’a pas voulu mentir, ai-je enfin répondu. Ne la grondez pas de m’avoir ouvert. Je suis heureux de vous revoir.

« Il répéta stupidement : « Monsieur de La Pérouse est mort. » Puis replongea dans le mutisme. J’eus un mouvement d’humeur et me levai, prêt à partir, remettant à un autre jour le soin de chercher la raison de cette triste comédie. Mais à ce moment la bonne rentra ; elle apportait une tasse de chocolat fumant :

« — Que Monsieur fasse un petit effort. Il n’a encore rien pris d’aujourd’hui.

« La Pérouse eut un sursaut d’impatience, comme un acteur à qui quelque comparse maladroit couperait un effet :

« — Plus tard. Quand ce Monsieur sera parti.

« Mais la bonne n’eut pas plus tôt refermé la porte :

« — Mon ami, soyez bon ; apportez-moi un verre d’eau, je vous prie. Un simple verre d’eau. Je meurs de soif.

« Je trouvai dans la salle à manger une carafe et un verre. Il emplit le verre, le vida d’un trait et s’essuya les lèvres à la manche de son vieux veston d’alpaga.

« — Vous avez de la fièvre ? lui demandai-je.