Page:Gide - Les Faux-monnayeurs.djvu/318

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


III


Journal d’Édouard
(Suite)

« 29 Septembre. — Visite à La Pérouse. La bonne hésitait à me laisser entrer. « Monsieur ne veut voir personne. » J’ai tant insisté qu’elle m’a introduit dans le salon. Les volets étaient clos ; dans la pénombre, je distinguais à peine mon vieux maître, enfoncé dans un grand fauteuil droit. Il ne s’est pas levé. Sans me regarder, il m’a tendu de côté sa main molle, qui est retombée après que je l’eus pressée. Je me suis assis à côté de lui, de sorte que je ne le voyais que de profil. Ses traits restaient durs et figés. Par instants ses lèvres s’agitaient, mais il ne disait rien. J’en venais à douter s’il me reconnaissait. La pendule a sonné quatre heures ; alors, comme mû par un rouage d’horlogerie, il a tourné la tête lentement et d’une voix solennelle, forte mais atone et comme d’outre-tombe :

« — Pourquoi vous a-t-on fait entrer ? J’avais recommandé à la bonne de dire, à qui viendrait me demander, que Monsieur de La Pérouse est mort.