Page:Gide - Les Faux-monnayeurs.djvu/312

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dit-il en me tendant la main ; et très opportunément, car la blanchisseuse ne revient que mardi, et les cols qui me restent sont déchirés.

« Je me souvenais de ce qu’Olivier m’avait dit de son camarade, et il me parut en effet qu’une expression de souci profond se cachait derrière sa méchante ironie. Le visage d’Armand s’était affiné ; son nez se pinçait, se busquait sur ses lèvres amincies et décolorées. Il continuait :

« — Avez-vous avisé Monsieur votre noble visiteur que nous avons adjoint à notre troupe ordinaire et engagé, pour l’ouverture de notre saison d’hiver, quelques vedettes sensationnelles : le fils d’un sénateur bien pensant, et le jeune vicomte de Passavant, frère d’un auteur illustre ? Sans compter deux recrues que vous connaissez déjà, mais qui n’en sont pour cela que plus honorables : le prince Boris, et le marquis de Profitendieu ; plus quelques autres dont les titres et les vertus restent à découvrir.

« — Vous voyez qu’il ne change pas, dit la pauvre mère, qui souriait à ces plaisanteries.

« J’avais si grand peur qu’il ne commençât à parler de Laura, que j’écourtai ma visite et descendis au plus vite retrouver Rachel.

« Elle avait relevé les manches de son corsage pour aider au rangement de la salle d’études ; mais les rabaissa précipitamment en me voyant approcher.

« — Il m’est extrêmement pénible d’avoir recours à vous, commença-t-elle en m’entraînant dans une petite salle voisine, qui sert aux leçons particulières. J’aurais voulu m’adresser à Douviers, qui m’en avait