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vocable. Je ne sais ce qu’a pu vous coûter mon entretien jusqu’à ce jour ; je pouvais accepter de vivre à vos dépens tant que j’étais dans l’ignorance, mais il va sans dire que je préfère ne rien recevoir de vous à l’avenir. L’idée de vous devoir quoi que ce soit m’est intolérable, et je crois que, si c’était à recommencer, je préférerais mourir de faim plutôt que de m’asseoir à votre table. Heureusement il me semble me souvenir d’avoir entendu dire que ma mère, quand elle vous a épousé, était plus riche que vous. Je suis donc libre de penser que je n’ai vécu qu’à sa charge. Je la remercie, la tiens quitte de tout le reste, et lui demande de m’oublier. Vous trouverez bien un moyen d’expliquer mon départ auprès de ceux qui pourraient s’en étonner. Je vous permets de me charger (mais je sais bien que vous n’attendrez pas ma permission pour le faire).

« Je signe du ridicule nom qui est le vôtre, que je voudrais pouvoir vous rendre, et qu’il me tarde de déshonorer.

« Bernard Profitendieu.

« P.-Sc. Je laisse chez vous toutes mes affaires qui pourront servir à Caloub plus légitimement, je l’espère pour vous. »

Monsieur Profitendieu gagna, en chancelant, un fauteuil. Il eût voulu réfléchir, mais les idées tourbillonnaient confusément dans sa tête. De plus, il ressentait un petit pincement au côté droit, là, sous les côtes ; il n’y couperait pas : c’était la crise