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rer cette confidence, à laquelle son état ne la forçait pas encore. M’eût-elle consulté, je lui aurais conseillé d’attendre d’avoir revu Douviers avant de rien dire. Azaïs n’y voit que du feu ; mais tous les siens ne seront pas aussi jobards.

« Le vieux a exécuté encore quelques variations sur divers thèmes pastoraux, puis m’a dit que sa fille serait heureuse de me revoir, et je suis redescendu à l’étage des Vedel.

« Je relis ce que dessus. En parlant ainsi d’Azaïs, c’est moi que je rends odieux. Je l’entends bien ainsi ; et j’ajoute ces quelques lignes à l’usage de Bernard, pour le cas où sa charmante indiscrétion le pousserait à fourrer de nouveau son nez dans ce cahier. Pour peu qu’il continue à fréquenter le vieux, il comprendra ce que je veux dire. J’aime beaucoup le vieux, et « au surplus » comme il dit, je le respecte ; mais dès que je suis près de lui, je ne peux plus me sentir ; cela me rend sa société assez pénible.

« J’aime beaucoup sa fille, la pastoresse. Madame Vedel ressemble à l’Elvire de Lamartine ; une Elvire vieillie. Sa conversation n’est pas sans charme. Il lui arrive assez souvent de ne pas achever ses phrases, ce qui donne à sa pensée une sorte de flou poétique. Elle fait de l’infini avec l’imprécis et l’inachevé. Elle attend de la vie future tout ce qui lui manque ici-bas ; ceci lui permet d’élargir indéfiniment ses espoirs. Elle prend élan sur le rétrécissement de son sol. De ne voir que très peu Vedel