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lui sait gré de son perpétuel sacrifice. C’est la plus belle âme de femme que je connaisse.

« Monté au second, chez Azaïs. Le vieux ne quitte plus guère son fauteuil. Il m’a fait asseoir près de lui et presque aussitôt m’a parlé de La Pérouse.

« — Je m’inquiète de le savoir seul et voudrais le persuader de venir habiter la pension. Vous savez que nous sommes de vieux amis. J’ai été le voir dernièrement. Je crains que le départ de sa chère femme pour Sainte-Périne, ne l’ait beaucoup affecté. Sa servante m’a dit qu’il ne se nourrissait presque plus. J’estime que d’ordinaire nous mangeons trop ; mais en toute chose, il faut observer une mesure et il peut y avoir excès dans les deux sens. Il trouve inutile qu’on fasse de la cuisine pour lui tout seul ; mais en prenant ses repas avec nous, de voir manger les autres l’entraînerait. Il serait ici près de son charmant petit-fils, qu’il n’aurait sinon guère l’occasion de voir ; car de la rue Vavin au faubourg Saint-Honoré, c’est tout un voyage. Au surplus, je n’aimerais pas trop laisser l’enfant sortir seul dans Paris. Je connais Anatole de La Pérouse depuis longtemps. Il a toujours été original. Ce n’est pas un reproche ; mais il est de naturel un peu fier et n’accepterait peut-être pas l’hospitalité que je lui offre, sans payer un peu de sa personne. J’ai donc pensé que je pourrais lui proposer de surveiller les classes d’études, ce qui ne le fatiguerait guère, et aurait au surplus le bon effet de le distraire, de le sortir un peu de lui-même. Il est bon mathématicien et pourrait au besoin donner des répétitions de