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II


Journal d’Édouard
(Suite)

« 28 Septembre. — J’ai trouvé Rachel sur le seuil de la grande salle d’études, au rez-de-chaussée de la pension. Deux domestiques nettoyaient le plancher. Elle même, en tablier de servante, un torchon à la main.

« — Je savais que je pouvais compter sur vous m’a-t-elle dit en me tendant la main, avec une expression de tristesse tendre, résignée, et malgré tout souriante, plus touchante que la beauté. — Si vous n’êtes pas trop pressé, le mieux serait que vous montiez d’abord faire une petite visite à grand-père, puis à maman. S’ils apprenaient que vous êtes venu sans les voir, cela leur ferait de la peine. Mais réservez un peu de temps ; il faut absolument que je vous parle. Vous me rejoindrez ici ; vous voyez je surveille le travail.

« Par une sorte de pudeur, elle ne dit jamais : je travaille. Rachel s’est effacée toute sa vie, et rien n’est plus discret, plus modeste que sa vertu. L’abnégation lui est si naturelle qu’aucun des siens ne