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habitués de ses salons sont pour la plupart, et presque exclusivement, des lycéens encore très jeunes. Je vous dis que c’est à ne pas le croire. Ces enfants ne se rendent certainement pas compte de la gravité de leurs actes, car c’est à peine s’ils cherchent à se cacher. Cela se passe à la sortie des classes. On goûte, on cause, on s’amuse avec ces dames ; et les jeux vont se poursuivre dans des chambres attenantes aux salons. Naturellement, n’entre pas là qui veut. Il faut être présenté, initié. Qui fait les frais de ces orgies ? Qui paie le loyer de l’appartement ? c’est ce qu’il ne paraissait pas malaisé de découvrir ; mais on ne pouvait pousser les investigations qu’avec une extrême prudence, par crainte d’en apprendre trop long, de se laisser entraîner, d’être forcé de poursuivre, et de compromettre enfin des familles respectables dont on soupçonnait les enfants d’être parmi les principaux clients. J’ai donc fait ce que j’ai pu pour modérer le zèle de Profitendieu, qui se lançait comme un taureau dans cette affaire, sans se douter que de son premier coup de corne… (ah ! pardonnez-moi ; je ne l’ai pas dit exprès ; ah ! ah ! ah ! c’est drôle ; ça m’a échappé)… il risquait d’embrocher son fils. Par bonheur, les vacances ont licencié tout le monde ; les collégiens se sont disséminés, et j’espère que toute cette affaire va s’en aller en eau de boudin, être étouffée après quelques avertissements et sanctions sans esclandre.

« — Vous êtes bien certain que Bernard Profitendieu avait trempé là-dedans ?