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désordre et de l’insoumission porte nécessairement en lui des germes d’anarchie… Oui, mon cher ; ce qui devait arriver est arrivé. Le jeune Bernard a brusquement quitté le foyer familial, où il n’aurait jamais dû entrer. Il est allé « vivre sa vie », comme disait Émile Augier ; vivre on ne sait comment, et on ne sait où. Le pauvre Profitendieu, qui m’a mis lui-même au courant de cette frasque, s’en montrait d’abord extrêmement affecté. Je lui ai fait comprendre qu’il ne devait pas prendre la chose tellement à cœur. Somme toute, le départ de ce garçon fait rentrer les choses dans l’ordre.

« Je protestai que je connaissais Bernard assez pour me porter garant de sa gentillesse et de son honnêteté (me gardant, il va sans dire, de parler de l’histoire de la valise). Mais Molinier, rebondissant aussitôt :

« — Allons ! je vois qu’il faut que je vous en raconte davantage.

« Puis se penchant en avant, et à demi-voix :

« — Mon collègue Profitendieu s’est vu chargé d’instruire une affaire extrêmement scabreuse et gênante, tant en elle-même que par le retentissement et les suites qu’elle peut avoir. C’est une histoire invraisemblable, et à laquelle on voudrait bien pouvoir ne pas ajouter foi… Il s’agit, mon cher, d’une véritable entreprise de prostitution, d’un… non, je ne voudrais pas employer de vilains mots ; mettons d’une maison de thé, qui présente ceci de particulièrement scandaleux que les