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Je vous dirai que j’attache une particulièrement grande importance aux fréquentations de mes enfants. J’estime qu’on ne saurait trop y prendre garde. Les miens ont heureusement une tendance naturelle à ne se lier qu’avec ce qu’il y a de mieux. Voyez, Vincent avec son prince ; Olivier avec le comte de Passavant… Georges, lui, a retrouvé à Houlgate un petit camarade de classe, un jeune Adamanti, qui va du reste rentrer à la pension Vedel-Azaïs avec lui ; un garçon de tout repos ; son père est sénateur de la Corse. Mais regardez comme il faut se méfier : Olivier avait un ami qui semblait de très bonne famille : un certain Bernard Profitendieu. Il faut vous dire que Profitendieu père est mon collègue ; un homme des plus remarquables et que j’estime tout particulièrement. Mais… (que ceci reste entre nous)… voici que j’apprends qu’il n’est pas le père de l’enfant qui porte son nom ! Qu’est-ce que vous dites de ça ?

« — C’est précisément ce jeune Bernard Profitendieu qui m’a parlé d’Olivier, dis-je.

« Molinier tira de grosses bouffées de son cigare et, relevant très haut les sourcils, ce qui couvrit son front de rides :

« — Je préfère qu’Olivier ne fréquente pas trop ce garçon. J’ai sur lui des renseignements déplorables ; qui du reste ne m’ont pas beaucoup étonné. Disons-nous bien qu’il n’y a lieu d’attendre rien de bon d’un enfant né dans ces tristes conditions. Ce n’est pas qu’un enfant naturel ne puisse avoir de grandes qualités, des vertus même ; mais le fruit du