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Ensuite je rentrerai dormir un peu. La chaleur m’éprouve… Je vous disais donc qu’avant-hier, en rentrant chez moi, j’ouvre mon secrétaire pour y ranger des papiers. J’amène le tiroir où j’avais caché les lettres de… la personne en question. Jugez de ma stupeur, mon cher : le tiroir était vide. Oh ! parbleu, je ne vois que trop ce qui se sera passé : Il y a une quinzaine de jours, Pauline s’est amenée à Paris avec Georges, pour le mariage de la fille d’un de mes collègues, auquel il ne m’était pas possible d’assister ; vous savez que j’étais en Hollande… et puis, ces cérémonies-là, c’est plutôt l’affaire des femmes. Désœuvrée, dans cet appartement vide, sous prétexte de mettre de l’ordre, vous savez comment sont les femmes, toujours un peu curieuses… elle aura commencé à fureter… oh ! sans songer à mal. Je ne l’accuse pas. Mais Pauline a toujours eu un sacré besoin de ranger… Alors, qu’est-ce que vous voulez que je lui dise, à présent qu’elle tient en main les preuves ? Si encore la petite ne m’appelait pas par mon nom ! Un ménage si uni ! Quand je songe à ce que je vais prendre…

« Le pauvre homme pataugeait dans sa confidence. Il se tamponna le front, s’éventa. J’avais beaucoup moins bu que lui. Le cœur ne fournit pas de la compassion sur commande ; je n’éprouvais pour lui que du dégoût. Je l’acceptais père de famille (encore qu’il ne fût pénible de me dire qu’il était père d’Olivier), bourgeois rangé, honnête, retraité ; amoureux, je ne l’imaginais que ridicule. J’étais surtout gêné par la maladresse et la trivialité de ses propos, de sa