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mêmes, et ils s’en iraient en morceaux. Il se taisait. Je sentis le besoin de verser quelques réflexions, comme on verse de l’huile à une machine qui vient de fournir une étape, et, pour l’inviter à repartir, je hasardai :

« — Heureusement, Pauline est intelligente.

« Il fit un : « oui… », prolongé jusqu’au dubitatif, puis :

« — Mais il y a pourtant des choses qu’elle ne comprend pas. Si intelligente que soit une femme, vous savez… Du reste, je reconnais qu’en la circonstance, je n’ai pas été très adroit. J’avais commencé à lui parler d’une petite aventure, alors que je croyais, que j’étais convaincu moi-même, que L’histoire n’irait pas plus loin. L’histoire a été plus loin… et les soupçons de Pauline également. J’avais eu tort de lui mettre, comme on dit, la puce à l’oreille. Il m’a fallu dissimuler, mentir… Voilà ce que c’est que d’avoir eu d’abord la langue trop longue. Que voulez-vous ? Je suis d’un naturel confiant… Mais Pauline est d’une jalousie redoutable et vous n’imaginez pas combien j’ai dû ruser.

« — Il y a longtemps de cela ? demandai-je.

« — Oh ! ça dure depuis cinq ans environ ; et j’estime que je l’avais complètement rassurée. Mais tout va être à recommencer. Figurez-vous qu’avant-hier, en rentrant chez moi… Si on demandait un second Pomard, hein ?

« — Pas pour moi, je vous en prie.

« — Ils en ont peut-être des demi-bouteilles.