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tout. Il y a certains mauvais sujets que rien n’amende ; ce que nous appelons : les prédestinés. Il est nécessaire, ceux-là, de les tenir très serrés. Mais quand on a affaire à de bonnes natures, on peut lâcher la bride un peu.

« — Vous me disiez pourtant, poursuivis-je, que cet enlèvement d’Olivier n’avait pas votre assentiment.

« — Oh ! mon assentiment… mon assentiment, a-t-il dit, le nez dans son assiette, on s’en passe parfois, de mon assentiment. Il faut se rendre compte que dans les ménages, et je parle des plus unis, ce n’est pas toujours le mari qui décide. Vous n’êtes pas marié, cela ne vous intéresse pas…

« — Pardonnez-moi, fis-je en riant ; je suis romancier.

« — Alors vous avez pu remarquer sans doute que ce n’est pas toujours par faiblesse de caractère qu’un homme se laisse mener par sa femme.

« — Il est en effet, concédai-je en manière de flatterie, des hommes fermes, et même autoritaires, qu’on découvre, en ménage, d’une docilité d’agneau.

« — Et savez-vous à quoi cela tient ? reprit-il… Neuf fois sur dix, le mari qui cède à sa femme, c’est qu’il a quelque chose à se faire pardonner. Une femme vertueuse, mon cher, prend avantage de tout. Que l’homme courbe un instant le dos, elle lui saute sur les épaules. Ah ! mon ami, les pauvres maris sont parfois bien à plaindre. Quand nous sommes jeunes, nous souhaitons de chastes épouses, sans savoir tout ce que nous coûtera leur vertu.