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vant va l’abîmer, c’est sûr. Rien n’est plus pernicieux pour lui que cet enveloppement sans scrupules. J’espérais d’Olivier qu’il aurait mieux su s’en défendre ; mais il est de nature tendre et sensible à la flatterie. Tout lui porte à la tête. De plus j’ai cru comprendre, à certains accents de sa lettre à Bernard, qu’il était un peu vaniteux. Sensualité, dépit, vanité, quelle prise sur lui cela donne ! Quand Édouard le retrouvera, il sera trop tard, j’en ai peur. Mais il est jeune encore et l’on est en droit d’espérer.

Passavant… autant n’en point parler, n’est-ce pas ? Rien n’est à la fois plus néfaste et plus applaudi que les hommes de son espèce, sinon pourtant les femmes semblables à Lady Griffith. Dans les premiers temps, je l’avoue, celle-ci m’imposait assez. Mais j’ai vite fait de reconnaître mon erreur. De tels personnages sont taillés dans une étoffe sans épaisseur. L’Amérique en exporte beaucoup ; mais n’est point seule à en produire. Fortune, intelligence, beauté, il semble qu’ils aient tout, fors une âme. Vincent, certes, devra s’en convaincre bientôt. Ils ne sentent peser sur eux aucun passé, aucune astreinte ; ils sont sans lois, sans maîtres, sans scrupules ; libres et spontanés, ils font le désespoir du romancier, qui n’obtient d’eux que des réactions sans valeur. J’espère ne pas revoir Lady Griffith d’ici longtemps. Je regrette qu’elle nous ait enlevé Vincent, qui, lui, m’intéressait davantage, mais qui se banalise à la fréquenter ; roulé par elle, il perd ses angles. C’est dommage : il en avait d’assez beaux.