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que la précaire pureté de l’enfant peut trouver dans l’austérité du vieil Azaïs. À quels sophismes prête-t-il l’oreille ? Le diable assurément les lui souffle, car il ne les écouterait pas, venus d’autrui.

Édouard m’a plus d’une fois irrité (lorsqu’il parle de Douviers, par exemple), indigné même ; j’espère ne l’avoir pas trop laissé voir ; mais je puis bien le dire à présent. Sa façon de se comporter avec Laura, si généreuse parfois, m’a paru parfois révoltante.

Ce qui ne me plaît pas chez Édouard, ce sont les raisons qu’il se donne. Pourquoi cherche-t-il à se persuader, à présent, qu’il conspire au bien de Boris ? Mentir aux autres, passe encore ; mais à soi-même ! Le torrent qui noie un enfant prétend-il lui porter à boire ?… Je ne nie pas qu’il y ait, de par le monde, des actions nobles, généreuses, et même désintéressées ; je dis seulement que derrière le plus beau motif, souvent se cache un diable habile et qui sait tirer gain de ce qu’on croyait lui ravir.

Profitons de ce temps d’été qui disperse nos personnages, pour les examiner à loisir. Aussi bien sommes-nous à ce point médian de notre histoire, où son allure se ralentit et semble prendre un élan neuf pour bientôt précipiter son cours. Bernard est assurément beaucoup trop jeune encore pour prendre la direction d’une intrigue. Il se fait fort de préserver Boris ; il pourra l’observer tout au plus. Nous avons déjà vu Bernard changer ; des passions peuvent le modifier plus encore. Je retrouve sur un carnet quelques phrases où je notais ce que je pensais de lui précédemment :