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bas, je ne demanderais pas grand’chose ; le vivre et le couvert me suffiraient… Sophroniska me témoigne de la confiance, et Boris s’entend bien avec moi. Je le protègerais, l’aiderais, me ferais son précepteur, son ami. Je resterais à votre disposition cependant, travaillerais pour vous entre temps, et répondrais au moindre signe. Dites, que pensez-vous de cela ?

Et comme pour donner à « cela » plus de poids, il ajouta :

— J’y pense depuis deux jours.

Ce qui n’était pas vrai. S’il ne venait pas d’inventer ce beau projet à l’instant même, il en eût déjà parlé à Laura. Mais ce qui était vrai, et qu’il ne disait pas, c’est que depuis son indiscrète lecture du journal d’Édouard et depuis la rencontre de Laura, il songeait souvent à la pension Vedel ; il souhaitait de connaître Armand, cet ami d’Olivier, dont Olivier ne lui parlait jamais ; il souhaitait plus encore de connaître Sarah, la sœur cadette ; mais sa curiosité demeurait secrète ; par égard pour Laura, il ne se l’avouait pas à lui-même.

Édouard ne disait rien ; pourtant le projet que lui soumettait Bernard lui plaisait, s’il l’assurait d’un domicile. Il se souciait peu d’avoir à l’héberger. Bernard souffla sa bougie, puis reprit :

— N’allez pas croire que je n’ai rien compris à ce que vous racontiez de votre livre et du conflit que vous imaginez entre la réalité brute et la…

— Je ne l’imagine pas, interrompit Édouard ; il existe.

— Mais précisément, ne serait-il pas bon que je