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— Un faux départ ?

— Ma foi, oui. Malgré toute l’affection que j’ai pour vous, je me persuade depuis quelques jours que nous ne sommes pas faits pour nous entendre et que… (il hésita quelques instants, chercha ses mots)… de m’accompagner plus longtemps, vous fourvoie.

Bernard pensait de même, aussi longtemps qu’Édouard n’avait pas parlé ; mais Édouard ne pouvait certes rien dire de plus propre à ressaisir Bernard. L’instinct de contradiction l’emportant, celui-ci protesta.

— Vous ne me connaissez pas bien, et je ne me connais pas bien moi-même. Vous ne m’avez pas mis à l’épreuve. Si vous n’avez aucun grief contre moi, puis-je vous demander d’attendre encore ? J’admets que nous ne nous ressemblons guère ; mais je pensais, précisément, qu’il valait mieux, pour chacun de nous deux, que nous ne nous ressemblions pas trop. Je crois que, si je puis vous aider, c’est surtout par mes différences et par ce que je vous apporterais de neuf. Si je m’abuse, il sera toujours temps de m’en avertir. Je ne suis pas type à me plaindre, ni à récriminer jamais. Mais, écoutez, voici ce que je vous propose ; c’est peut-être idiot… Le petit Boris, si j’ai bien compris, doit entrer à la pension Vedel-Azaïs. Sophroniska ne vous exprimait-elle pas ses craintes qu’il ne s’y sentît un peu perdu ? Si je m’y présentais moi-même, avec la recommandation de Laura, ne puis-je espérer d’y trouver un emploi, de surveillant, de pion, que sais-je ? J’ai besoin de gagner ma vie. Pour ce que je ferais là