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Édouard avait rendu à Bernard l’affreuse lettre, sans souffler mot ; sans souffler mot, Bernard l’avait reprise. J’ai dit qu’ils ne se parlaient pas beaucoup ; une sorte de contrainte étrange, inexplicable, pesait sur eux aussitôt qu’ils se trouvaient seuls. (Je n’aime pas ce mot « inexplicable », et ne l’écris ici que par insuffisance provisoire.) Mais ce soir, retirés dans leur chambre, et tandis qu’ils s’apprêtaient pour la nuit, Bernard, dans un grand effort, et la gorge un peu contractée, demanda :

— Laura vous a montré la lettre qu’elle a reçue de Douviers ?

— Je ne pouvais douter que Douviers ne prît la chose comme il faut, dit Édouard en se mettant au lit. C’est quelqu’un de très bien. Un peu faible peut-être ; mais tout de même très bien. Il va adorer cet enfant, j’en suis sûr. Et le petit sera sûrement plus robuste qu’il n’aurait su le faire lui-même. Car, il ne m’a pas l’air bien costaud.

Bernard aimait Laura beaucoup trop pour n’être pas choqué par la désinvolture d’Édouard ; il n’en laissa néanmoins rien paraître.

— Allons ! reprit Édouard en éteignant sa bougie, je suis heureux de voir se terminer pour le mieux cette histoire, qui paraissait sans autre issue, que le désespoir. Ça arrive à n’importe qui de faire un faux départ. L’important, c’est de ne pas s’entêter…

— Évidemment, dit Bernard pour éluder la discussion.

— Il faut bien que je vous avoue, Bernard, que je crains d’en avoir fait un avec vous…