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rie à cacher ses connaissances. C’est ce qu’il appelle ses bijoux secrets. Il dit qu’il n’y a que les rastas qui se plaisent à étaler aux yeux de tous leur parure, et surtout quand celle-ci est en toc.

« Il sait admirablement se servir des idées, des images, des gens, des choses ; c’est-à-dire qu’il met tout à profit. Il dit que le grand art de la vie, ce n’est pas tant de jouir que d’apprendre à tirer parti.

« J’ai écrit quelques vers, mais je n’en suis pas assez content pour te les envoyer.

« Au revoir, mon vieux. En octobre. Tu me trouveras changé, moi aussi. Je prends chaque jour un peu plus d’assurance. Je suis heureux de te savoir en Suisse, mais tu vois que je n’ai rien à t’envier.

« Olivier. »

Bernard tendit cette lettre à Édouard qui la lut sans laisser rien paraître des sentiments qu’elle agitait en lui. Tout ce qu’Olivier racontait si complaisamment de Robert, l’indignait et achevait de le lui faire prendre en haine. Surtout, il s’affectait de n’être même pas nommé dans cette lettre et qu’Olivier semblât l’oublier. Il fit de vains efforts pour déchiffrer, sous une épaisse rature, les trois lignes, écrites en post-scriptum, et que voici :

« Dis à l’oncle E. que je pense à lui constamment ; que je ne puis pas lui pardonner de m’avoir plaqué et que j’en garde au cœur une blessure mortelle. »

Ces lignes étaient les seules sincères de cette lettre de parade, toute dictée par le dépit. Olivier les avait barrées.