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— Avant de s’en aller, Monsieur Bernard a laissé une lettre pour Monsieur dans le bureau. Phrase si simple qu’elle risquait de demeurer inaperçue ; il avait vainement cherché quelque chose de plus gros, sans rien trouver qui fût à la fois naturel. Mais comme il n’arrivait jamais à Bernard de s’absenter, Monsieur Profitendieu, qu’Antoine observait du coin de l’œil, ne put réprimer un sursaut :

— Comment ! avant de…

Il se ressaisit aussitôt ; il n’avait pas à laisser paraître son étonnement devant un subalterne ; le sentiment de sa supériorité ne le quittait point. Il acheva d’un ton très calme, magistral vraiment :

— C’est bien.

Et tout en gagnant son cabinet :

— Où dis-tu qu’elle est, cette lettre ?

— Sur le bureau de Monsieur.

Profitendieu, sitôt entré dans la pièce, vit en effet une enveloppe posée d’une manière bien apparente en face du fauteuil où il avait coutume de s’asseoir pour écrire ; mais Antoine ne lâchait pas prise si vite, et Monsieur Profitendieu n’avait pas lu deux lignes de la lettre, qu’il entendait frapper à la porte.

— J’oubliais de dire à Monsieur qu’il y a deux personnes qui attendent dans le petit salon.

— Quelles personnes ?

— Je ne sais pas.

— Elles sont ensemble ?

— Il ne paraît pas.

— Qu’est-ce qu’elles me veulent ?

— Je ne sais pas. Elles voudraient voir Monsieur.