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poil tout le long du jour. C’était merveilleux ; mais il faisait trop chaud et nous avons dû gagner la montagne.

« Passavant est un compagnon charmant ; il n’est pas du tout entiché de son titre ; il veut que je l’appelle Robert ; et il a inventé de m’appeler : Olive. Dis, si ce n’est pas charmant ? Il fait tout pour me faire oublier son âge et je t’assure qu’il y parvient. Ma mère était un peu effrayée de me voir partir avec lui, car elle le connaissait à peine. J’hésitais, par crainte de la chagriner. Avant ta lettre, j’avais même presque renoncé. Vincent l’a persuadée et ta lettre m’a brusquement donné du courage. Nous avons passé les derniers jours, avant le départ, à courir les magasins. Passavant est si généreux qu’il voulait toujours tout m’offrir et que je devais sans cesse l’arrêter. Mais il trouvait mes pauvres nippes affreuses ; chemises, cravates, chaussettes, rien de ce que j’avais ne lui plaisait ; il répétait que, si je devais vivre quelque temps avec lui, il souffrirait trop de ne pas me voir vêtu comme il faut — c’est-à-dire : comme il lui plaît. Naturellement, on faisait envoyer chez lui toutes les emplettes, par crainte d’inquiéter maman. Il est lui-même d’une élégance raffinée ; mais surtout il a très bon goût, et beaucoup de choses qui me paraissaient supportables me sont devenues odieuses aujourd’hui. Tu n’imagines pas comme il pouvait être amusant chez les fournisseurs. Il est tellement spirituel ! Je voudrais t’en donner une idée : nous nous trouvions chez Brentano, où il avait donné à réparer son stylo.