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invisible. Sophroniska s’inquiète, il est vrai, de voir Boris, à la suite de Bronja, précipité dans une sorte de mysticisme puéril ; elle est trop intelligente pour ne comprendre point que cette nouvelle « béatitude de l’âme » que recherche à présent Boris, n’est pas très différente après tout, de celle qu’il provoquait d’abord par artifice, et que, pour être moins dispendieuse, moins ruineuse pour l’organisme, elle ne le détourne pas moins de l’effort et de la réalisation. Mais, lorsque je lui en parle, elle me répond que des âmes comme celle de Boris et de Bronja ne peuvent se passer d’un aliment chimérique et que s’il leur était enlevé, elles succomberaient, Bronja dans le désespoir, et Boris dans un matérialisme vulgaire ; elle estime, en outre, qu’elle n’a pas le droit d’abîmer la confiance de ces petits, et, bien que tenant leur croyance pour mensongère, elle veut y voir une sublimation des instincts bas, une postulation supérieure, une incitation, une préservation, que sais-je ?… Sans croire elle-même aux dogmes de l’église, elle croit à l’efficacité de la foi. Elle parle avec émotion de la piété de ces deux enfants, qui lisent ensemble l’Apocalypse, et s’exaltent, et conversent avec les anges et revêtent leur âme de suaires blancs. Comme toutes les femmes, elle est pleine de contradictions. Mais elle avait raison : je ne suis décidément pas un mystique… non plus qu’un paresseux. Je compte beaucoup sur l’atmosphère de la pension Azaïs et de Paris pour faire de Boris un travailleur ; pour le guérir enfin de la recherche des « biens imaginaires ». C’est là, pour lui, qu’est le salut. Sophro-