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que, comme un animal traqué, son organisme débile a inventé cette quantité de petits subterfuges où se purge sa peine intime, et qui sont comme autant d’aveux.

« — Si je vous comprends bien, vous estimez qu’il eût été moins préjudiciable pour Boris de continuer à se livrer tranquillement à la pratique de sa « magie » ?

« — Je crois qu’il n’était pas nécessaire, pour l’en guérir, de l’effrayer. Le changement de vie, qu’entraînait la mort de son père, eût suffi sans doute à l’en distraire, et le départ de Varsovie à le soustraire à l’influence de son ami. On n’obtient rien de bon par l’épouvante. Quand j’ai su ce qui en était, lui reparlant de tout cela et revenant sur le passé, je lui ai fait honte d’avoir pu préférer la possession de biens imaginaires à celle des biens véritables, qui sont, lui ai-je dit, la récompense d’un effort. Loin de chercher à noircir son vice, je le lui ai représenté simplement, comme une des formes de la paresse ; et je crois en effet que c’en est une ; la plus subtile, la plus perfide…

« Je me souvins, à ces mots, de quelques lignes de La Rochefoucauld, que je voulus lui montrer, et, bien que j’eusse pu les lui citer de mémoire, j’allai chercher le petit livre des Maximes, sans lequel je ne voyage jamais. Je lui lus :

« De toutes les passions, celle qui est la plus inconnue à nous-mêmes, c’est la paresse ; elle est la plus ardente et la plus maligne de toutes, quoique sa violence soit insensible et que les dommages qu’elle