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surmenée bondait de merveilles, à grand renfort de volupté. Il va sans dire que Sophroniska ne s’est pas servie de ces termes ; j’aurais voulu qu’elle me rapportât exactement ceux de Boris, mais elle prétend qu’elle n’est parvenue à démêler ce que dessus, dont elle m’a pourtant certifié l’exactitude, qu’à travers un fouillis de feintes, de réticences et d’imprécisions.

« — J’ai trouvé là l’explication que je cherchais depuis longtemps, a-t-elle ajouté, d’un bout de parchemin que Boris gardait toujours sur lui, enfermé dans un sachet qui pendait sur sa poitrine à côté des médailles de sainteté que sa mère le force à porter — et sur lequel étaient cinq mots, en caractères majuscules, enfantins et soignés, cinq mots dont je lui demandais en vain la signification ;

Gaz, Téléphone. Cent mille roubles.

« — Mais ça ne veut rien dire. C’est de la magie », me répondait-il toujours quand je le pressais. C’est tout ce que je pouvais obtenir. Je sais à présent que ces mots énigmatiques sont de l’écriture du jeune Baptistin, grand maître et professeur de magie, et qu’ils étaient pour ces enfants, ces cinq mots, comme une formule incantatoire, le « Sésame ouvre-toi » du paradis honteux où la volupté les plongeait. Boris appelait ce parchemin : son talisman. J’avais eu déjà beaucoup de mal à le décider à me le montrer, et plus encore à s’en défaire (c’était au début de notre séjour ici) ; car je voulais qu’il s’en défît, comme je sais à présent qu’il s’était déjà précédemment libéré