Page:Gide - Les Faux-monnayeurs.djvu/265

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jamais ; vous le lui avez bien dit hier. Je trouve absurde cette méthode de travail qu’il nous exposait. Un bon roman s’écrit plus naïvement que cela. Et d’abord, il faut croire à ce que l’on raconte, ne pensez-vous pas ? et raconter tout simplement. J’ai d’abord cru que je pourrais l’aider. S’il avait eu besoin d’un détective, j’aurais peut-être satisfait aux exigences de l’emploi. Il aurait travaillé sur les faits qu’aurait découvert ma police… Mais avec un idéologue, rien à faire. Près de lui, je me sens une âme de reporter. S’il s’entête dans son erreur, je travaillerai de mon côté. Il me faudra gagner ma vie. J’offrirai mes services à quelque journal. Entre-temps, je ferai des vers.

— Car près des reporters, assurément, vous vous sentirez une âme de poète.

— Oh ! ne vous moquez pas de moi. Je sais que je suis ridicule ; ne me le faites pas trop sentir.

— Restez avec Édouard ; vous l’aiderez, et laissez-vous aider par lui. Il est bon.

On entendit la cloche du déjeuner. Bernard se leva. Laura lui prit la main :

— Dites encore : cette petite pièce que vous nous montriez hier… en souvenir de vous, lorsque je partirai — elle se raidit et cette fois put achever sa phrase — voudriez-vous me la donner ?

— Tenez ; la voici ; prenez-la, dit Bernard.