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que j’ai mal agi envers lui. Laura, mon amie, je voudrais vous demander… Est-ce que vous trouvez que je devrais implorer son pardon, retourner près de lui ?

— Non, dit Laura.

— Pourquoi ? Si vous, vous retournez près de Douviers…

— Vous me le disiez tout à l’heure, ce qui est vrai pour l’un ne l’est pas pour un autre. Je me sens faible ; vous êtes fort. Monsieur Profitendieu peut vous aimer ; mais, si j’en crois ce que vous m’avez dit de lui, vous n’êtes pas faits pour vous entendre… Ou du moins, attendez encore. Ne revenez pas à lui défait. Voulez-vous toute ma pensée ? C’est pour moi, non pour lui, que vous vous proposez cela ; pour obtenir ce que vous appeliez : mon estime. Vous ne l’aurez, Bernard, que si je ne vous sens pas la chercher. Je ne peux vous aimer que naturel. Laissez-moi le repentir ; il n’est pas fait pour vous, Bernard.

— J’en viens presque à aimer mon nom, quand je l’entends sur votre bouche. Savez-vous ce dont j’avais le plus horreur, là-bas ? C’est du luxe. Tant de confort, tant de facilités… Je me sentais devenir anarchiste. À présent, au contraire, je crois que je tourne au conservateur. J’ai compris brusquement cela, l’autre jour, à cette indignation qui m’a pris en entendant le touriste de la frontière parler du plaisir qu’il avait à frauder la douane. « Voler l’État, c’est ne voler personne », disait-il. Par protestation, j’ai compris tout à coup ce que c’était