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Les livres qu’on lui défend de lire, l’enfant les lit en cachette. Lui, son système est bien simple : les mauvais livres, il n’en défendait pas la lecture ; mais il s’arrangeait de façon que ses enfants n’aient aucune envie de les lire. Quant à l’affaire en question, il y réfléchirait encore et promettait en tous cas de ne rien faire sans en aviser Molinier. Simplement on continuerait à exercer une discrète surveillance et, puisque le mal durait déjà depuis trois mois, il pouvait bien continuer quelques jours ou quelques semaines encore. Au surplus, les vacances se chargeraient de disperser les délinquants. Au revoir.

Profitendieu put enfin presser le pas.

Sitôt rentré, il courut à son cabinet de toilette et ouvrit les robinets de la baignoire. Antoine guettait le retour de son maître et fit en sorte de le croiser dans le corridor.

Ce fidèle serviteur était dans la maison depuis quinze ans ; il avait vu grandir les enfants. Il avait pu voir bien des choses ; il en soupçonnait beaucoup d’autres, mais faisait mine de ne remarquer rien de ce qu’on prétendait lui cacher. Bernard ne laissait pas d’avoir de l’affection pour Antoine ; il n’avait pas voulu partir sans lui dire adieu. Et peut-être par irritation contre sa famille se plaisait-il à mettre un simple domestique dans la confidence de ce départ que ses proches ignoreraient ; mais il faut dire à la décharge de Bernard qu’aucun des siens n’était alors à la maison. De plus Bernard n’aurait pu leur dire adieu sans qu’ils cherchassent à le retenir. Il redoutait les explications. À Antoine il