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chait du front sa robe, les bras rejetés en arrière comme en signe d’adoration ; mais quand il sentit sur son front la main de Laura se poser, il saisit cette main sur laquelle il pressa ses lèvres.

— Quel enfant vous êtes, Bernard ! Moi non plus je ne suis pas libre, dit-elle en retirant sa main. Tenez, lisez ceci.

Elle sortit de son corsage un papier froissé qu’elle tendit à Bernard.

Bernard vit tout d’abord la signature. Ainsi qu’il le craignait, c’était celle de Félix Douviers. Un instant il garda la lettre dans sa main sans la lire ; il levait les yeux vers Laura. Elle pleurait. Bernard sentit alors en son cœur encore une attache se rompre, un de ces liens secrets qui relient chacun de nous à soi-même, à son égoïste passé. Puis il lut :

« Ma Laura bien-aimée,

« Au nom de ce petit enfant qui va naître, et que je fais serment d’aimer autant que si j’étais son père, je te conjure, de revenir. Ne crois pas qu’aucun reproche puisse accueillir ici ton retour. Ne t’accuse pas trop, car c’est de cela surtout que je souffre. Ne tarde pas. Je t’attends de toute mon âme qui t’adore et se prosterne devant toi. »

Bernard était assis à terre, devant Laura, mais c’est sans la regarder qu’il lui demanda :

— Quand avez-vous reçu cette lettre ?

— Ce matin.

— Je croyais qu’il ignorait tout. Vous lui avez écrit ?