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IV


— Je voulais vous demander, Laura, dit Bernard : pensez-vous qu’il y ait rien, sur cette terre, qui ne puisse être mis en doute ?… C’est au point que je doute si l’on ne pourrait prendre le doute même comme point d’appui ; car enfin, lui du moins, je pense, ne nous fera jamais défaut. Je puis douter de la réalité de tout, mais pas de la réalité de mon doute. Je voudrais… Excusez-moi si je m’exprime d’une manière pédante ; je ne suis pas pédant de ma nature, mais je sors de philosophie, et vous ne sauriez croire le pli que la dissertation fréquente imprime bientôt à l’esprit ; je m’en corrigerai, je vous jure.

— Pourquoi cette parenthèse ? Vous voudriez… ?

— Je voudrais écrire l’histoire de quelqu’un qui d’abord écoute chacun, et qui va, consultant chacun, à la manière de Panurge, avant de décider quoi que ce soit ; après avoir éprouvé que les opinions des uns et des autres, sur chaque point, se contredisent, il prendrait le parti de n’écouter plus rien que lui, et du coup deviendrait très fort.

— C’est un projet de vieillard, dit Laura.