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s’apercevoir de l’expression insolite de cet enfant, mais, avec un calme admirable :

« — Écoute, Boris, a-t-elle dit, il ne faut pas faire cela le soir. Si tu veux, nous irons là-bas demain matin ; et, d’abord, tu essaieras d’y aller nu-pieds…

« Elle caressait doucement le front de sa fille ; mais celle-ci, brusquement, est tombée à terre et s’est roulée dans des convulsions. Nous étions assez inquiets. Sophroniska l’a prise et l’a étendue sur le sopha. Boris, sans bouger, regardait avec de grands yeux hébétés cette scène.

« Je crois les méthodes d’éducation de Sophroniska excellentes en théorie, mais peut-être s’abuse-t-elle sur la résistance de ces enfants.

« — Vous agissez comme si le bien devait toujours triompher du mal, lui ai-je dit un peu plus tard, quand je me suis trouvé seul avec elle. (Après le repas, j’étais allé demander des nouvelles de Bronja qui n’avait pu descendre dîner.)

« — En effet, ma-t-elle dit. Je crois fermement que le bien doit triompher. J’ai confiance.

« — Pourtant, par excès de confiance, vous pouvez vous tromper…

« — Chaque fois que je me suis trompée, c’est que ma confiance n’a pas été assez forte. Aujourd’hui, en laissant sortir ces enfants, je m’étais laissée aller à leur montrer un peu d’inquiétude ; ils l’ont sentie. Tout le reste est venu de là.

« Elle m’a pris la main :

« — Vous n’avez pas l’air de croire à la vertu des convictions… je veux dire : à leur force agissante,