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— Voyons ! Voyons, mon ami ; nous savons vous et moi ce que devrait être la justice, et ce qu’elle est. Nous faisons pour le mieux, c’est entendu ; mais, si bien que nous fassions, nous ne parvenons à rien que d’approximatif. Le cas qui vous occupe aujourd’hui est particulièrement délicat : sur quinze inculpés, ou qui, sur un mot de vous pourront l’être demain, il y a neuf mineurs. Et certains de ces enfants, vous le savez, sont fils de très honorables familles. C’est pourquoi je considère en l’occurence le moindre mandat d’arrêt comme une insigne maladresse. Les journaux de parti vont s’emparer de l’affaire, et vous ouvrez la porte à tous les chantages, à toutes les diffamations. Vous aurez beau faire : malgré toute votre prudence vous n’empêcherez pas que des noms propres soient prononcés… Je n’ai pas qualité pour vous donner un conseil, et vous savez combien plus volontiers j’en recevrais de vous dont j’ai toujours reconnu et apprécié la hauteur de vue, la lucidité, la droiture… Mais, à votre place, voici comment j’agirais : je chercherais le moyen de mettre fin à cet abominable scandale en m’emparant des quatre ou cinq instigateurs… Oui, je sais qu’ils sont de prise difficile ; mais que diable, c’est notre métier. Je ferais fermer l’appartement, le théâtre de ces orgies, et je m’arrangerais de manière à prévenir les parents de ces jeunes effrontés, doucement, secrètement, et simplement de manière à empêcher les récidives. Ah ! par exemple, faites coffrer les femmes ; ça, je vous l’accorde volontiers ; il me paraît que nous avons à faire ici à quel-