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de celles-ci. Alors qu’elle eût voulu donner, c’était elle qui recevait sans cesse, et ceci l’irritait contre Édouard. De plus, lorsqu’elle se remémorait le passé, il lui paraissait qu’Édouard l’avait trompée en éveillant en elle un amour qu’elle sentait encore vivace, puis en se dérobant à cet amour et en le laissant sans emploi. N’était-ce pas là le secret motif de ses erreurs, de son mariage avec Douviers, auquel elle s’était résignée, auquel Édouard l’avait conduite ; puis de son laisser aller, sitôt ensuite, aux sollicitations du printemps ? Car, elle devait bien se l’avouer, dans les bras de Vincent, c’était Édouard encore qu’elle cherchait. Et, ne s’expliquant pas cette froideur de son amant, elle s’en faisait responsable, se disait qu’elle l’eût pu vaincre, si plus belle ou si plus hardie ; et, ne parvenant pas à le haïr, elle s’accusait elle-même, se dépréciait, se déniait toute valeur, et supprimait sa raison d’être, et ne se reconnaissait plus de vertu.

Ajoutons encore que cette vie de campement, imposée par la disposition des chambres, et qui pouvait paraître si plaisante à ses compagnons, froissait en elle mainte pudeur. Et elle n’entrevoyait aucune issue à cette situation, pourtant difficilement prolongeable.

Laura ne puisait un peu de réconfort et de joie qu’en s’inventant vis-à-vis de Bernard de nouveaux devoirs de marraine ou de sœur aînée. Elle était sensible à ce culte que lui vouait cet adolescent plein de grâce ; l’adoration dont elle était l’objet la retenait sur la pente de ce mépris de soi-même, de ce