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« Ce fut à elle de protester.

« — Impudiques ? Il n’y a pas là plus d’impudeur qu’à se laisser ausculter. J’ai besoin de tout savoir et particulièrement ce que l’on a plus grand souci de cacher. Il faut que j’amène Boris jusqu’à l’aveu complet ; avant cela je ne pourrai pas le guérir.

« — Vous soupçonnez donc qu’il a des aveux à vous faire ? Êtes-vous bien certaine, excusez-moi, de ne pas lui suggérer ce que vous voudriez qu’il avoue !

« — Cette préoccupation ne doit pas me quitter et c’est elle qui m’enseigne tant de lenteur. J’ai vu des juges d’instruction maladroits souffler sans le vouloir à un enfant un témoignage inventé de toute pièces et l’enfant, sous la pression d’un interrogatoire, mentir avec une parfaite bonne foi, donner créance à des méfaits imaginaires. Mon rôle est de laisser venir et surtout de ne rien suggérer. Il y faut une patience extraordinaire.

« — Je pense que la méthode, ici, vaut ce que vaut l’opérateur.

« — Je n’osais le dire. Je vous assure qu’après quelque temps de pratique on arrive à une extraordinaire habileté, une sorte de divination, d’intuition si vous préférez. Du reste on peut parfois se lancer sur de fausses pistes ; l’important c’est de ne pas s’y obstiner. Tenez : savez-vous comment débutent tous nos entretiens ? Boris commence par me raconter ce qu’il a rêvé pendant la nuit.

« — Qui vous dit qu’il n’invente pas ?

« — Et quand il inventerait ?… Toute invention d’une imagination maladive est révélatrice.