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cause le plus souvent échappe à son souvenir ; on dirait qu’elle se dissimule dans l’ombre de la maladie ; c’est derrière cet abri que je la cherche, pour la ramener en plein jour, je veux dire dans le champ de la vision. Je crois qu’un regard clair nettoie la conscience comme un rayon de lumière purifie une eau infectée.

« Je racontai à Sophroniska la conversation que j’avais surprise la veille et d’après laquelle il me paraissait que Boris était loin d’être guéri.

« — C’est aussi que je suis loin de connaître du passé de Boris tout ce que j’aurais besoin de connaître. Il n’y a pas longtemps que j’ai commencé mon traitement.

« — En quoi consiste-t-il ?

« — Oh ! simplement à le laisser parler. Chaque jour je passe près de lui une ou deux heures. Je le questionne, mais très peu. L’important est de gagner sa confiance. Déjà je sais beaucoup de choses. J’en pressens beaucoup d’autres. Mais le petit se défend encore, il a honte ; si j’insistais trop vite et trop fort, si je voulais brusquer sa confidence j’irais à l’encontre de ce que je souhaite obtenir : un complet abandon. Il se rebifferait. Tant que je ne serai pas parvenu à triompher de sa réserve, de sa pudeur…

« L’inquisition dont elle me parlait me parut à ce point attentatoire que j’eus peine à retenir un mouvement de protestation ; mais ma curiosité l’emportait.

« — Serait-ce à dire que vous attendez de ce petit quelques révélations impudiques ?