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« — Oui, non, pas ce bout-là. Attends que je l’essuie.

« — Pourquoi ?

« — J’y ai touché.

« Mme Sophroniska s’est approchée de moi, comme j’achevais seul mon déjeuner du matin et que précisément je cherchais le moyen de l’aborder. Je fus surpris de voir qu’elle tenait mon dernier livre à la main ; elle m’a demandé, en souriant de la manière la plus affable, si c’était bien à l’auteur qu’elle avait le plaisir de parler : puis aussitôt s’est lancée dans une longue appréciation de mon livre. Son jugement, louanges et critiques, m’a paru plus intelligent que ceux que j’ai coutume d’entendre, encore que son point de vue ne soit rien moins que littéraire. Elle m’a dit s’intéresser presque exclusivement aux questions de psychologie et à ce qui peut éclairer d’un jour nouveau l’âme humaine. Mais combien rares, a-t-elle ajouté, les poètes, dramaturges ou romanciers qui savent ne point se contenter d’une psychologie toute faite (la seule, lui ai-je dit, qui puisse contenter les lecteurs).

« Le petit Boris lui a été confié pour les vacances par sa mère. Je me suis gardé de laisser paraître les raisons que j’avais de m’intéresser à lui. — Il est très délicat, m’a dit Mme Sophroniska. La société de sa mère ne lui vaut rien. Elle parlait de venir à Saas-Fée avec nous ; mais je n’ai accepté de m’occuper de l’enfant que si elle l’abandonnait complètement à mes soins ; sinon je n’aurais pu répondre de