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Oscar Molinier pressait le pas tant qu’il pouvait et faisait effort pour suivre Profitendieu, mais il était beaucoup plus court que lui et de moindre développement crural ; de plus, le cœur un peu capitonné de graisse, il s’essoufflait facilement. Profitendieu, encore vert à cinquante-cinq ans, de coffre creux et de démarche alerte, l’aurait plaqué volontiers ; mais il était très soucieux des convenances ; son collègue était plus âgé que lui, plus avancé dans la carrière : il lui devait le respect. Il avait, de plus, à se faire pardonner sa fortune qui, depuis la mort des parents de sa femme, était considérable, tandis que Monsieur Molinier n’avait pour tout bien que son traitement de président de chambre, traitement dérisoire et hors de proportion avec la haute situation qu’il occupait avec une dignité d’autant plus grande qu’elle palliait sa médiocrité. Profitendieu dissimulait son impatience ; il se retournait vers Molinier et regardait celui-ci s’éponger ; au demeurant ce que lui disait Molinier l’intéressait fort ; mais leur point de vue n’était pas le même et la discussion s’échauffait.

— Faites surveiller la maison, disait Molinier. Recueillez les rapports du concierge et de la fausse servante, tout cela va fort bien. Mais faites attention que, pour peu que vous poussiez un peu trop avant cette enquête, l’affaire vous échappera… Je veux dire qu’elle risque de vous entraîner beaucoup plus loin que vous ne pensiez tout d’abord.

— Ces préoccupations n’ont rien à voir avec la justice.